Le Museo Vincenzo Vela

Vela après son retour dans la région du Mendrisiotto en 1867

Vincenzo Vela retourna définitivement à Ligornetto en 1867. Parallèlement à ses activités artistiques, il se lança dans un combat politique et social en faveur de ses concitoyens et des couches les plus défavorisées de la population tessinoise.
Plaçant sa condition de citoyen suisse avant même son statut d’artiste, le sculpteur fut membre du Conseil cantonal de l’instruction publique de 1862 à 1877, où il œuvra essentiellement au soutien des écoles de dessin, puis il fut député du Grand Conseil de 1877 et 1881. En outre, toujours dans le domaine de l’éducation, Vela mit tout en œuvre pour que soit créée une école des beaux-arts dans le Tessin, malheureusement en vain. Républicain convaincu et « inspiré par des principes libéraux », il a toujours défendu ses idéaux politiques. Il fut membre de nombreuses sociétés d’aide mutuelle et fit preuve d’une grande générosité qui se prolongea même après sa mort à travers le legs de son fils Spartaco. Grâce à lui, Ligornetto fut en mesure d’améliorer ses infrastructures publiques. Son haut-relief Les victimes du travail, librement réalisé en 1882, s’inspira des ouvriers morts sur le chantier de construction du tunnel ferroviaire du Saint-Gothard. À travers cette œuvre, Vincenzo Vela signa un véritable manifeste pour les droits sociaux et humanitaires.
Son action en faveur des personnes les plus défavorisées n’est pas sans rappeler l’engagement d’un autre philanthrope, le comte Alfonso Turconi, dont il sculpta le portrait. Ce dernier fit un legs qui permit à Mendrisio de fonder ce qui devint plus tard l’hôpital de la Beata Vergine, aujourd’hui siège de l’Académie d’architecture de l’Université, à côté de laquelle se dresse le Teatro dell’architettura.

La Villa Vela dans la « Campagnadorna » de la moitié du XIXe siècle

Entre 1862 et 1866, une batisse imposante fut érigée sur un vaste terrain situé sur une colline au nord d’un village rural. Conçue par Cipriano Ajmetti, architecte des ducs de Gênes, elle fut construite par l’architecte Isidoro Spinelli di Sagno. Cet édifice majestueux -rapidement rebaptisé « Panthéon Vela »-, qui servait à la fois de résidence à la famille Vela, d’atelier et de galerie des plâtres du sculpteur, inspirait un mélange de respect et de crainte dans la Campagnadorna de la moitié du XIXe siècle. En réalité, Vincenzo Vela ouvrait fraternellement les portes de sa demeure et de sa salle à manger à quiconque se trouvait dans le besoin. Ce n’est donc pas un hasard si à sa mort, à travers le legs de Spartaco, la villa devint le premier musée public du Tessin (1896). Ce génie artistique aux humbles racines campagnardes ne négligeait pas le travail de la terre, ce qui le rapprochait de la plupart de ses concitoyens.
C’est en ces termes, alors qu’il résidait encore à Turin, qu’il décrivit dans une lettre son séjour passé à Ligornetto pendant la saison automnale : « au cours de ces deux mois de vacances, je ne suis plus un artiste, mais un paysan et un chasseur ». Il vouait d’ailleurs une passion démesurée pour ses chiens de chasse. Il possédait également une cave à vin à Rancate, où se dresse aujourd’hui la Pinacoteca cantonale Giovanni Züst. Il y conservait un « nectar » qu’il aimait partager avec ses amis et collègues.
Un fait troubla toutefois ce cadre globalement idyllique : la nuit du 6 mars 1867, des inconnus tirèrent des coups de fusil sur la villa à des fins d’intimidation. Il s’agit sans doute d’un avertissement dont on ne connut jamais les motifs.

La tradition de la sculpture dans le Mendrisiotto et les carrières de marbre

Arzo, Besazio, Viggiù… sont des communes frontalières proches de Ligornetto, célèbres pour leurs carrières et leurs pierres de diverses qualités. Elles ont vu naître de nombreux tailleurs de pierre, ornemanistes et sculpteurs qui, après avoir pratiqué l’art du travail de la pierre – souvent à l’étranger -, revenaient sur leur terre pour y laisser de précieuses traces de leur maîtrise. Parmi ceux-ci, mentionnons notamment Apollonio Pessina, conservateur de notre musée pendant près de quarante ans. Ce fut également le cas de Vincenzo Vela qui, dès l’enfance, fut initié au métier de tailleur de pierre dans les carrières voisines puis, vers 1834, rejoignit son frère aîné Lorenzo, sculpteur ornemaniste à Milan, afin de poursuivre son apprentissage dans la carrière de la cathédrale du Duomo. C’est dans ce contexte et avec ces origines modestes que naît le talent artistique du sculpteur, qui se nourrit ensuite de la longue tradition culturelle italienne.

Les œuvres exposées dans sa gypsothèque se distinguent certainement des sculptures plus simples et éparses issues de la tradition antérieure ou contemporaine. Plutôt qu’un lieu d’autocélébration, il s’agit en réalité d’un espace accueillant de formation et d’enrichissement personnel, ouvert au public dès le début, ce que renforça le legs à la Confédération suisse en vue d’en faire un musée ou une école d’art.

Parmi les créations exposées, mentionnons l’Ecce Homo, une réplique en marbre de la sculpture veillant sur la dépouille mortelle de Vela au cimetière de Ligornetto. Ce monument érigé par son fils Spartaco et d’anciens étudiants du maître, a été restauré à l’occasion du bicentenaire de la naissance de ce dernier, grâce à une aide importante de la ville de Mendrisio, où se dresse le Museo d’arte.

La frontière qui a marqué l’histoire de la région du Mendrisiotto et de Vincenzo Vela

Ligornetto n’est éloignée que de quelques kilomètres de l’Italie. Comme souvent, la frontière fut davantage un point de rencontre et d’échange qu’une véritable ligne de séparation, notamment aux yeux de Vincenzo Vela. En effet, celui-ci était un citoyen, artiste et patriote à la fois suisse – son credo républicain et libéral le porta au front de la guerre du Sonderbund – et italien – en témoignent sa participation volontaire aux mouvements liés au Risorgimento et bien sûr son inspiration artistique. Pour lui, la frontière ne constituait aucune barrière : « mes principes politiques sont d’ordre universel et je prendrai toujours parti pour les peuples qui luttent pour leur indépendance vis-à-vis des étrangers et qui tentent d’avancer sur la voie de la liberté et du progrès… ».
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’histoire de l’unification de l’Italie est présentée dans le salon principal de sa villa, sur le sol helvétique.
Dans la région du Mendrisiotto, la ville frontière par excellence est Chiasso, porte méridionale de la « Via delle genti ». On y trouve le « m.a.x. museo », inspiré par l’artiste zurichois Max Huber, pour qui la frontière était également un formidable espace de rencontre et d’échange.
Pour conclure sur un ton plus léger, mentionnons l’anecdote selon laquelle Vela aimait se reposer dans un pavillon de chasse de sa propriété, où il s’adonnait également au piégeage des oiseaux, une pratique interdite en Suisse mais pas en Italie. En fait, ce pavillon se situait, à quelques mètres près, dans le territoire italien, mais ne tombait pas sous le coup de l’imposition douanière… Ce petit subterfuge était peut-être la façon des autorités du royaume d’Italie de rendre hommage à Vela pour sa participation aux luttes du Risorgimento.